Jean-Pierre Claveranne, président de la Fondation Bullukian, qui célèbre ses 40 ans, est l'invité de 6 minutes chrono / Lyon Capitale.
"C'est une histoire qui ressemble un peu à celle du Comte de Monte-Cristo." raconte Jean-Pierre Claveranne, président de la Fondation Léa et Napoléon Bullukian, dont on célèbre, cette année, les 40 ans.
Esclave à 7 ans, milliardaire à sa mort.
Napoléon Bullukian (1905-1984) est un entrepreneur et philanthrope franco-arménien dont la vie, marquée par des épreuves et une ascension remarquable, évoque certains aspects du Comte de Monte-Cristo d’Alexandre Dumas : un destin bouleversé, une renaissance spectaculaire et une générosité marquante.
Né dans l’Empire ottoman en 1905, Napoléon Bullukian est survivant du génocide arménien. Il perd une grande partie de sa famille dans les massacres et arrive en France comme réfugié, sans ressources. Parti de rien, il crée une entreprise spécialisée dans les produits pétroliers (notamment dans le traitement du pétrole), accumulant une fortune considérable grâce à son intelligence, son travail et son audace – un parcours qui rappelle celui d’Edmond Dantès devenu le Comte de Monte-Cristo.
L'engagement de la Fondation Léa et Napoléon Bullukian, reconnue d'utilité publique, pour la recherche médicale, le soutien aux artistes ou l'aide au peuple arménien sont au cœur de ses trois missions.
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Devenu riche, Napoléon Bullukian consacre la fin de sa vie à la philantropie. En 1985, deux ans après sa mort, la Fondation Léa et Napoléon Bullukian est créée, soutenant la culture, la recherche médicale et la mémoire arménienne.
Homme de courage, de conviction, de relations, de coeur et de culture, Napoléon Bullukian laisse un impact durable par sa volonté de réparer les injustices et de soutenir les opprimés, à travers des actions concrètes.
Il a marqué l'époque du milieu du XXe siècle à Lyon.
"C'est un enfant qui naît, on ne sait pas bien si c'est en 1905 ou 1907, dans une famille très riche, explique Jean-Pierre Claveranne, le président de la Fondation Léa et napoléon Bullukian. Le grand-père est un caravanier, il a 600 mulets et tout le monde s'agrège à lui pour faire du commerce. Puis son père devient une sorte de financier d'une région de Turquie. Il disait que les propriétés de son père faisaient 90 kilomètres de long. Au moment du génocide arménien, en 1915, des brigands viennent chez lui, tuent le père et ses frères, et emmènent sa mère, son frère et sa sœur dans le désert. Cela dure plusieurs mois. Là, il est vendu comme esclave à un Kurde. Il a alors 7 ans, ne parle pas le kurde, et va rester quatre ans dans les montagnes kurdes, à se débrouiller seul, à se nourrir, à inventer mille choses."
A lire : Napoléon Bullukian - De l'Ararat à Napoléon (Editions Lyonnaises d'Art et d'Histoire), réédition de l'ouvrage écrit par Napoléon Bullukian en 1975 qui retrace à grands traits sa biographie.
La retranscription intégrale de l'entretien avec Jean-Pierre Claveranne
Bonjour à tous et bienvenue dans ce nouveau rendez-vous de 6 minutes chrono. Nous accueillons aujourd'hui Jean-Pierre Claveranne, président de la Fondation Bullukian. Bonjour, merci beaucoup d'être là, car je sais que vous avez reporté un voyage pour être présent sur le plateau de 6 minutes chrono, c'est tout à votre honneur.
Bonjour.
La Fondation Bullukian est installée en plein cœur de Lyon, au 26 place Bellecour, et reste encore très peu connue; malgré qu'elle a récemment célébré son 40e anniversaire. Elle avait été initiée, il y a donc 40 ans, par Léon et Napoléon Bullukian. C'est une association reconnue d'utilité publique avec trois missions. Vous allez en parler, mais avant cela, j'aimerais qu'on revienne sur l'histoire assez extraordinaire de Napoléon Bullukian. Pourriez-vous nous en dire quelques mots ?
Rapidement, c'est une histoire qui ressemble un peu à celle du Comte de Monte-Cristo. C'est un enfant qui naît, on ne sait pas bien si c'est en 1905 ou 1907, dans une famille très riche. Le grand-père est un caravanier, il a 600 mulets et tout le monde s'agrège à lui pour faire du commerce. Puis son père devient une sorte de financier d'une région de Turquie. Il disait que les propriétés de son père faisaient 90 kilomètres de long. Au moment du génocide arménien, en 1915, des brigands viennent chez lui, tuent le père et ses frères, et emmènent sa mère, son frère et sa sœur dans le désert. Cela dure plusieurs mois. Là, il est vendu comme esclave à un Kurde. Il a alors 7 ans, ne parle pas le kurde, et va rester quatre ans dans les montagnes kurdes, à se débrouiller seul, à se nourrir, à inventer mille choses. En 1918, il s’échappe et rejoint sa sœur à Alep. Sa mère est morte. Il va errer dans le Moyen-Orient pendant quatre ou cinq ans avant d’arriver à Saint-Chamond , dans la Loire, en 1923. Là, c’est le début d’une nouvelle vie. Il y reste deux ans, travaille seize heures par jour, puis vient à Lyon où il montre une intelligence absolument fabuleuse. Son frère vend des machines à écrire, lui les démonte et les remonte les yeux fermés. Il ne sait pas lire, parle très mal français.
Et il va construire une fortune, amasser une fortune...
Oui, au-delà de ça... Moi qui suis universitaire, j'ai dirigé un labo au CNRS, j’en viens à me dire que les intelligences brutes n’ont pas besoin d’université. Cet homme va tout inventer. Il va inventer des façons de construire, faire fortune dans l’immobilier, puis créer des méthodes industrielles. Très jeune, il a pour client un petit entrepreneur marseillais dont personne ne tient compte à l’époque : Paul Ricard. Il va fournir Paul Ricard en bouchons toute sa vie sur quatre usines. Il invente des machines à expresso, vend des matières premières dans le monde entier, possède 200 machines à travers le monde. Il devient le représentant de France-URSS... Peu de gens savent ce que c'est, mais à l’époque de la guerre froide, une seule société peut commercer avec l’URSS, et lui est le représentant de cette société française européenne. C’est une véritable saga.
C'est une vraie saga, très peu connue à Lyon. Et aujourd’hui, le nom Bullukian reste à Lyon grâce notamment à cette Fondation Bullukian, qui a trois missions. Nous allons aller rapidement, mais pouvez-vous nous parler de ces trois missions ? D’abord, un centre d’art contemporain.
Alors, c’est très rare qu’une fondation ait trois missions. En principe, seule la Fondation de France en a plusieurs. Il se trouve que lorsque je suis arrivé, la fondation n’était pas reconnue. Je suis allé au conseil d’État - quand on est professeur de droit à la faculté, on y est bien reçu. Le vice-président du Conseil d’État est tombé amoureux de cet homme et m’a dit : "On va faire une exception, vous aurez trois missions comme il le voulait." En fait, il y en a quatre. Donc, je me corrige : il y a quatre missions.
Listez-nous les missions de la Fondation Bullukian
La première mission, inscrite dans le testament, est la recherche sur le cancer. Lorsque j’ai demandé la reconnaissance d’utilité publique, on était en pleine affaire du cancer. Le vice-président m’a dit : "On va transformer un peu cela en recherche médicale appliquée." J’ai vu s’ouvrir un champ énorme, notamment dans le domaine de l’environnement. Deuxième mission : aider les jeunes artistes. Troisième mission : les œuvres arméniennes. Mais le testament indique aussi : "Je voudrais également qu’on garde de l’argent pour mon musée", car il rêvait d’un musée. Pour les 40 ans, nous avons officialisé ce musée, qui a toujours existé, sous la forme de ce fameux centre d’art.
Ce fameux centre d’art. C’est passionnant. En revanche, notre émission touche à sa fin. Nous y reviendrons évidemment dans Lyon Capitale, ainsi que dans l’article qui accompagnera cette vidéo. Cette fondation a 40 ans, elle est en plein centre de Lyon. L’entrée est gratuite, avec 40 000 visiteurs par an, ce qui n’est pas rien. Une ouverture toujours gratuite, avec une exposition intitulée Territoires tissés, autour du tapis et du tissage dans l’art contemporain arménien, visible jusqu’au 18 juillet de mémoire. Cela vaut vraiment le détour. Je vous laisse le dernier mot.
Les quatre derniers artistes que nous avons exposés : l’un a été recruté à la Villa Médicis pour un an, deux sont à Madrid, à la Villa Velázquez, pour un an, et le quatrième est actuellement nominé pour le prix Marcel Duchamp.